En matière de distribution, le contrat d’agent, permet à un producteur, industriel, ou commerçant de confier le développement de ses produits à un agent qui connait son marché, et qui en tant qu’intermédiaire indépendant va négocier et/ou conclure des contrats de vente, d’achat, de location, de prestation de service ou au nom et pour son compte (art.L.134-1 du code de commerce). L’organisation mise en place par ce type de contrat est souple, l’agent indépendant est rémunéré par des commissions sur les ventes, et la connaissance de l’agent de son marché le rend très attractif, notamment pour le développement à l’international.
Mais il est aussi essentiel de tenir compte, au moment de signer le contrat d’agent, du droit à indemnité de l’agent à la fin de la relation. Indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi par l’agent du fait de la cessation de ses relations avec le mandant que ce dernier est tenu de lui régler (art.L.134-12).
Cette indemnité de fin de contrat est de droit et les dispositions y afférentes étant d’ordre public, les parties ne peuvent pas y déroger dans le contrat.
L’indemnité est destinée à réparer le préjudice que cause à l’agent la cessation du contrat, à savoir, la perte pour l’avenir des revenus qu’il percevait en exécution du contrat, la clientèle ne lui appartenant pas. A la différence de la quasi-totalité des autres pays européens, lors de la transposition de la Directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, la France n’a pas opté pour l’indemnité de clientèle prévue par l’article 17.2 de ladite Directive.
La loi française ne prévoit pas le montant de cette indemnité ni son mode de calcul. C’est donc à la jurisprudence qu’il faut se référer avec l’aléa que cela représente.
L’indemnité de fin de contrat, en droit français, est évaluée par les tribunaux en fonction des usages, de la durée de la relation, du montant des commissions perçues et généralement, selon la jurisprudence des tribunaux français, elle est égale à deux années de commissions sur la base de la moyenne des 3 dernières années.
Cette indemnité, spécifique au contrat d’agent commercial, est, bien entendu, constitutive d’un cout et doit donc être prise en compte lors de la signature du contrat d’agent commercial.
Il convient également de relever que l’agent perd son droit à indemnité s’il a commis une faute grave, s’il est à l’initiative de la rupture (sauf exceptions) ou s’il a cédé son contrat avec l’accord de son mandant (art.L.134-13).
Si les questions relatives à la qualification du contrat, à la faute grave et à l’évaluation de l’indemnité donnent lieu à un contentieux important c’est bien parce que l’indemnité de fin de contrat est au cœur des contentieux en matière de rupture du contrat d’agent.
Nous avons voulu revenir sur certaines décisions importantes rendues en la matière ces dernières années. Avoir une vision claire du droit positif en matière de contrat d’agent et des implications pratiques qui en résultent nous semble essentiel.
La qualification d’un contrat d’intermédiaire en contrat d’agent
Pour contester le droit à indemnité de fin de contrat de l’agent, la qualification du contrat est souvent mise en cause. La cour de cassation est claire sur ce point et l’a rappelé dans un arrêt de 2023 :
♦ L’application du statut d’agent commercial ne dépend ni la dénomination de la convention choisie par les parties, ni de leur volonté exprimée dans ladite convention mais « des conditions dans lesquelles l’activité est effectivement exercée ». Ce sont donc les conditions de fait qui prévaudront dans l’appréciation de la qualification du contrat pour déterminer s’il est soumis ou non au statut de l’agent commercial, indépendamment des termes de la convention. (Com. 17 mai 2023, n 21-23.533)
⇒ L’intitulé de la convention, les mentions du contrat notamment quant aux obligations et tâches de l’agent pourront être écartés pour qualifier la convention au regard de la réalité de son exécution et des relations entre les parties.
♦ Autre argument longtemps mis en avant par les mandants pour contester la qualification du contrat en contrat d’agent commercial : l’absence de pouvoir de négociation de l’agent. Cet argument n’est plus opérant depuis un revirement de jurisprudence de la cour de cassation dans un arrêt du 2 décembre 2020 par lequel elle a jugé que pour être qualifié d’agent commercial, il n’est pas nécessaire que l’intermédiaire dispose du pouvoir de modifier les prix des produits ou services proposés aux clients (Com.2 décembre 2020 n°18-20.231). Elle a également jugé par un arrêt postérieur de 2021 qu’il n’est pas non plus nécessaire pour être qualifié d’agent commercial et bénéficier du statut de disposer du pouvoir de négocier les conditions de vente des contrats conclus par le mandant. A noter que dès lors que les parties ont choisi dans le contrat qui les lie l’application de la loi française, celle-ci s’applique « quand bien même l’agent commercial était établi et exerçait son activité en dehors du territoire de l’Union Européenne » et, conformément à la nouvelle jurisprudence en la matière, la qualification d’agent commercial sera retenue quand bien l’intermédiaire ne disposait pas de la faculté de négociation des prix et conditions de vente et que le contrat avait été conclu, s’était exécuté et avait pris fin avant le revirement de jurisprudence de 2020 (Com. 11 janvier 2023 n°21-18.683).
⇒ Qu’il ait ou non le pouvoir de négocier les prix et conditions des contrats que passent les clients avec le mandant, l’intermédiaire peut être qualifié d’agent commercial et aura droit à une indemnité de fin de contrat.
La faute grave de l’agent privative d’indemnité de fin de contrat♦ La faute grave de l’agent doit être invoquée par le mandant dès la notification de la rupture. Si elle est dénoncée ou même découverte après la rupture, elle ne privera pas l’agent de son indemnité car elle n’aura pas été notifiée à l’agent lors de la rupture et ne sera donc pas considérée comme ayant provoqué ladite rupture. C’est par un revirement de jurisprudence que la cour de cassation a tranché en ce sens dans un arrêt de 2022 (Com 16 novembre 2022 n°21-17.126)
⇒ Le mandant doit invoquer la faute grave de l’agent justifiant la rupture dès la notification de celle-ci.
♦ Le manquement toléré ne peut pas constituer une faute grave : le mandant qui entend se prévaloir d’une faute grave de l’agent (définie comme la faute qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun et rendant impossible le maintien de lien contractuel) doit s’en prévaloir immédiatement. Si la faute de l’agent commercial n’a pas empêché la poursuite du contrat elle n’est pas considérée comme une faute grave et le mandant ne pourra pas s’en prévaloir ultérieurement pour contester le droit à indemnité de l’agent (Com. 4 décembre 2024 n°23-16.962)
⇒ Un comportement fautif grave doit être sanctionné par la rupture dès qu’il est découvert, à défaut il ne pourra plus être invoqué comme faute grave privative d’indemnité.
L’évaluation de l’indemnité due à l’agent
♦ L’indemnité de fin de contrat, calculée sur la base des commissions perçues par l’agent pendant la durée de son contrat, pourra être impactée par la possibilité d’aménager contractuellement le droit à commission de l’agent. Cela résulte d’une décision de la CJUE du 13 octobre 2022. La question posée à la CJUE était celle de la possibilité pour les parties au contrat d’agent de prévoir une exclusion ou un aménagement de la commission due à l’agent au titre de contrats similaires subséquents signés avec un même client, en pratique sur les opérations répétées. La réponse de la CJUE est claire : « il peut être dérogé contractuellement au droit que cette disposition confère à l’agent commercial indépendant de percevoir une commission pour l’opération conclue, pendant la durée du contrat d’agence, avec un tiers dont cet agent a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre». (CJUE du 13 octobre 2022, aff. C-64/21)
⇒ Lors de la rédaction du contrat d’agent commercial une attention particulière devra être portée à la clause de rémunération de l’agent : le droit à commission et l’assiette de calcul de cette commission.
⇒ Toute clause du contrat limitant ou excluant, comme cela est possible, le droit à commission de l’agent pour les opérations répétées, aura une incidence sur le montant de l’indemnité à verser à l’agent lors de la cessation du contrat.
♦ L’indemnité de fin de contrat ne peut pas être diminuée au motif que l’agent a retrouvé rapidement un nouveau mandat (Com.29 janvier 2025 n°23-21.527).
Qu’il s’agisse de la négociation ou de la rédaction du contrat d’agent commercial, cette question de l’indemnité de fin de contrat et de tous les éléments qui y ont trait d’une manière ou d’une autre doit absolument être prise en compte avec attention.