Influencée par les décisions récentes de la CEDH et de la CJUE, et en conformité avec la directive « fusion » du 9 octobre 1978 codifiée par la directive du 14 juin 2017, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt d’une importance considérable pour les opérations de fusion de sociétés (Cass. Crim., 25 novembre 2020, 18-86.955).
Opérant un revirement d’une jurisprudence pourtant bien établie, la Cour de Cassation a jugé que « la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération ».
Ce nouveau principe général de transfert de la responsabilité pénale en cas de fusion-absorption fondé sur la directive « fusions » précitée (i) vient se superposer au principe souvent oublié mais préexistant entrainant les mêmes incidences en cas de fraude (ii), et aura des incidences pratiques conséquentes notamment en matière d’audit pré-opération (iii).
i) Transfert de la responsabilité pénale fondé sur la directive « fusions »
Le nouveau principe a été formulé clairement par la Cour de cassation dans les termes suivants :
« En cas de fusion-absorption d’une société par une autre société entrant dans le champ de la directive précitée, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération. »
Ce revirement de jurisprudence appelle les observations ci-dessous :
- La solution ne concernerait a priori que les sociétés dont la fusion entre dans le champ d’application de la directive précitée, c’est-à-dire les sociétés par actions et notamment les sociétés anonymes, les sociétés par actions simplifiées et les sociétés en commandite par actions. La pratique s’interroge toutefois sur l’application de la décision à d’autres formes de sociétés ou à d’autres types d’opérations (TUP, scission…) ;
- La société absorbée doit faire l’objet d’une dissolution ;
- Le transfert de responsabilité pénale ne concerne que les peines d’amende et de confiscation de bien, les autres peines applicables aux personnes morales telles que notamment la dissolution ou l’interdiction d’exercer une activité ne peuvent donc être prononcées à l’encontre de l’absorbante ;
- La société absorbante bénéficie des mêmes droits que la société absorbée et peut se prévaloir de tout moyen de défense que cette dernière aurait pu invoquer ;
- Cette nouvelle jurisprudence ne s’applique que pour les opérations de fusions conclues postérieurement au 25 novembre 2020.
ii) Le transfert de la responsabilité pénale en cas de fraude précisé
Hormis ce cas spécifique de transfert de responsabilité pénale, déduit de la directive de 1978, l’arrêt rappelle que la jurisprudence a toujours évoqué la possibilité d’un tel transfert en cas de fraude, à savoir lorsque l’opération a pour objectif de décharger l’absorbée de toute crainte pénale. La décision vient préciser qu’en cas de « fraus omnia corrumpit », toutes les structures seront visées, peu importe leur forme, et ce avant comme après le 25 novembre 2020. Le spectre de la fraude est ainsi plus large que celui déduit de la directive de 1978.
iii) Incidences pratiques
Cette décision aura un impact conséquent dans la réalisation des audits pré-opération où les auditeurs devront désormais être extrêmement vigilants sur l’existence d’un risque pénal pouvant être transféré à l’absorbante. Or, on sait que ce type de risques est très rarement divulgué, l’absorbante ne découvrant les éventuelles poursuites pénales que longtemps après les faits. En tout état de cause, les praticiens devront redoubler de vigilance et certainement renforcer sur ce point les conventions de garantie d’actif et de passif.