Punitive damages : Contre toute attente le Conseil d’Etat refuse la déductibilité et fragilise ainsi la préservation des intérêts français à l’international

L’affaire semblait évidente et la détermination de l’administration fiscale d’autant plus excessive et pourtant…

Dans le cadre d’un litige commercial, une société française est condamnée par un tribunal de l’Arkansas à verser à son fournisseur américain i) des dommages et intérêts destinés à indemniser le préjudice subi, dont la déductibilité n’appelle aucun sujet et ii) des « punitive damages ».

Les « punitive damages » ne trouvent pas écho en droit interne français et consistent en des versements allant au-delà de l’indemnitaire aux fins de punir leur auteur lorsqu’il a eu un comportement illégal et d’une particulière mauvaise foi. Il s’agit d’une sorte d’amende hybride en ce qu’elle est versée non à une autorité publique mais à la partie adverse, personne civile.

De son côté, l’article 39.2 du CGI prévoit que les sanctions pécuniaires de toute nature mises à la charge de contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en déduction des bénéfices, sans préciser, il est vrai, si elles sont ou non versées à une autorité publique.

C’est sous cet axe que l’administration fiscale remettait en cause la déductibilité des « punitive damages » auxquels était condamné le fournisseur français. Selon elle, faute de précision textuelle, peu importe qu’ils soient versés à une personne privée ou une autorité publique et dès lors qu’ils sanctionnent la violation d’une obligation légale, ils ne peuvent alors être déduits.

Le Tribunal administratif et la Cour administrative d’appel donnaient à tort à l’administration fiscale. En filigrane, il lui était reproché de jouer sur les mots.

Certes l’article 39.2 du CGI ne précise pas que l’amende doit exclusivement être versée à une autorité publique pour être non déductible… mais en réalité, cela allait sans dire, dès lors qu’en droit français une amende ne peut être versée à aucune autre personne qu’une autorité publique.

Par ailleurs, les travaux parlementaires relatifs à l’élaboration de la mesure révèlent sans ambiguïté aucune, et bien logiquement, que seules sont visées par la non déductibilité les sanctions financières versées à des autorités publiques chargées de veiller, dans un intérêt général, au respect des lois, et destinées à être versées dans des caisses publiques ou de sécurité sociale.

Le Conseil d’Etat (CE Plénière 8 décembre 2023 n°458968) vient censurer cette position réaliste des juges du fond en donnant droit à l’argument littéral de l’administration, lequel allait pourtant frontalement à l’encontre de l’intention du législateur.

Les « punitive damages » ne sont donc pas déductibles du seul fait qu’ils sanctionnent la violation d’une règle et ce, quand bien même leur bénéficiaire serait une personne privée…Fin de la partie.

Au-delà de tout débat sur la pertinence de cette décision, ses conséquences fragilisent dorénavant sensiblement les lignes de négociations précontentieuses des acteurs économiques français à l’international.

Le spectre d’une décision judiciaire prononçant des « punitive damages » non déductibles viendra à l’évidence déséquilibrer le rapport de force dans la négociation en amont de l’enveloppe de dommages et intérêts dont seuls les indemnitaires seront maintenant déductibles.

En ces temps de patriotisme économique, il serait logique et opportun que le législateur rectifie le tir…

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